Si en France ce drame est peu connu, il a marqué les mémoires de nos voisins du nord : le 8 août 1956, Le Bois du Cazier, une mine de charbon située à Charleroi en Belgique francophone, est victime d'un incendie. Bilan : 262 mineurs ont péri dans la catastrophe, dont 136 Italiens, faisant de l'événement l'une des plus grandes tragédies minières en Europe. Parmi les rares survivants, trois s'étaient réfugiés sous un wagonnet, se protégeant des gaz et de la fumée. Et si on avait retrouvé deux survivants et un mort...
Le 06/10/2023 à 18:40 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
06/10/2023 à 18:40
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Arriver de Paris dans la Charleroi populo, en ville de la désindustrialisation, est des plus dépaysants. Pas comme débarquer à Bali ou Istanbul, mais le pittoresque est digne de la réputation. Le Bois du Cazier, témoin silencieux de l'histoire industrielle, désormais musée, n’est qu'à quelques minutes en voiture de la gare entourée de travaux. Pour notre séjour dans la ville, aucun « soleil arriéré » qui dore une mousse, mais un ciel gris et chargé, promesse d'une ondée imminente.
Faits saillants : problèmes de titre de transport aller et retour entre Bruxelles et Charleroi, et pour se garer autour de la gare de la ville des éditions Dupuis. Dans les deux cas, le moyen de s'entendre avec les contrôleurs et la police, par l'entremise d'arguments rationnels. Quel choc pour un Français... Aucun Belge présent n'a pris une bière lors du déjeuner, et j'en ai pris une espagnole, alors on s'est moqué.
L'auteur belge de polar Paul Colize travaillait sur un nouveau roman centré autour d'une femme qui recevait de mystérieuses cassettes audio, mais l'intrigue avait du mal à décoller... C'est en visitant le musée du Bois du Cazier, qui raconte le drame du 8 août 1956 (dit de Marcinelle, aujourd'hui section de Charleroi), que l'idée d'un polar à partir de cette tragédie a pris corps : « J’ai rencontré un ancien mineur à cette occasion, qui a aujourd'hui 89 ans, et qui était un des mineurs immigrés d'Italie, mais qui en a réchappé », nous confie le romancier.
Au moment du drame, il était rentré au pays pour se marier, le chanceux. L'Italien au français incertain se raconte : un témoignage brut et authentique qui pousse Paul Colize à préférer la médiation du théâtre à celle du roman, pour mettre en scène le procès fictif de deux mineurs accusés de meurtre : ont-ils liquidé le troisième pour avoir de l’oxygène ? Se venger d'un supérieur sadique ? Est-il mort sans l'intervention des deux autres ? Comme pour chacune de ses œuvres, aucun plan préconçu ni destination au départ, mais le plaisir de se laisser guider par les personnages et l'intrigue qui se construisent au fur et à mesure, suivent leur pente naturelle.
La pièce de théâtre a été représentée six fois, dont la première fois durant le Quai du polar à Lyon, à la Chapelle de la Trinité : « C’était grandiose », résume l'auteur de Toute la violence des hommes. Les interprètes de l'œuvre à cette occasion : Michel Bussi, Franck Thilliez, ou encore Colin Niel. Et dans le rôle du jury, le public.
La pièce n'a pas été éditée, mais ceux qui ont participé à ses représentations sont formels auprès d'un Paul Colize qui, lui, travaille à son futur ouvrage : « Il faut en faire un roman. » Pour ce faire, il manquait l’observateur externe de tout cet univers de la mine. Un témoin ? Un membre du jury ? « J’ai tout essayé, et s’est finalement imposé un journaliste, qui est neutre (en principe). » Plus précisément une journaliste, d'abord « car il n’y avait que des hommes dans la pièce ».
Paul Colize développe : « Je suis un enfant des années 60 (né en 1953), donc j’ai assisté à ce machisme ambiant. La femme ne travaillait pas, ou alors était à la teinturerie, était la femme du boulanger… Donc ça m’intéressait de mettre en scène une femme qui va bousculer les codes, et apporter sa sensibilité féminine dans ce monde d'hommes. Sa capacité à sentir les choses sera cruciale dans ce procès. »
Dans Devant Dieu et les hommes, une affaire d'adultère est centrale. Elle ressemble comme deux gouttes d'eau à un mobile : Katarzyna dit non à cette condamnation...
Une femme, et plus précisément une Polonaise, « parce que ma mère est polonaise ! Elle avait l’âge de la journaliste en 1958, et elle a connu comme mon héroïne l’invasion russe en 1939, la reprise de sa ville (Lwów, aujourd'hui Lviv en Ukraine) en 1942 par les Allemands, puis la libération en 1945 par les Russes. Elle a connu les viols des troupes soviétiques. » Partie en 1949, quand certains membres de sa famille se sont installés en Allemagne, d’autres aux États-Unis ou en Autriche, seule, elle a traversé l'Europe à 23 ans, avant de s'installer en Belgique.
Lors d'un repas avec le rédacteur en chef du Soir, Katarzyna est loin d'imaginer qu'elle sera choisie pour relater le procès de Marcinelle. En 1958, la présence d'une femme dans le monde journalistique est déjà exceptionnelle, alors obtenir la couverture d'une affaire aussi en vue est une surprise.
Seulement deux ans auparavant, une catastrophe avait secoué le Bois du Cazier : un feu ravageur y avait fait plus de 250 victimes. Selon certaines rumeurs, deux mineurs italiens y auraient tué leur supérieur. Pour Katarzyna, c'est l'occasion rêvée de prouver sa valeur en tant que journaliste.
Cependant, ce drame a une résonance particulière pour elle. Elle comprendra bientôt que sa sélection pour ce reportage n'a rien d'anodin...
La Catastrophe de Marcinelle, dans laquelle prend place ce roman autour d'un procès, s'inscrit dans un contexte où, pour répondre à une pénurie de main-d'œuvre et relancer l'industrie du charbon, la Belgique avait passé des accords bilatéraux avec plusieurs pays. Ils permettaient l'arrivée de travailleurs migrants, principalement des Italiens, pour travailler dans les mines belges.
Le 8 août 1956, vers 8h10, un incendie s'est déclenché dans la mine du Bois du Cazier. Le feu a été causé par une confusion avec l’équipe de surface : un mineur, situé à près de 975 mètres de profondeur, procède à l'encagement d'un chariot à un moment inapproprié. Un wagonnet ne sort pas entièrement, coincé par un dispositif d’arrêt défaillant.
Lorsque la cage est mise en mouvement, l'un des wagonnets qui dépasse heurte une traverse, endommageant une canalisation d'huile, brisant deux câbles électriques à haute tension et causant la rupture d'un tuyau d'air comprimé. Des étincelles électriques enflamment l'huile projetée, et amplifiées par le jet d'air comprimé et le ventilateur principal en surface, le feu se propage en consommant les structures en bois avoisinantes. Les flammes et les fumées toxiques ont envahi les puits de la mine, rendant l'évacuation impossible pour la plupart des mineurs.
262 périssent dans cette catastrophe, et seuls 13 ont survécu, dont les trois qui se sont protégés sous un wagonnet, et à partir desquels Paul Colize a construit sa fiction. La tragédie de Marcinelle a forcé les pouvoirs publics à revoir les standards de sécurité des mineurs et leurs conditions de travail : suite à la catastrophe, de nombreuses améliorations en matière de sécurité ont été apportées dans les mines.
Sur le plan diplomatique, en raison du nombre élevé de victimes italiennes, la Belgique a renégocié son accord migratoire avec l'Italie, en instaurant de meilleures garanties pour la sécurité des travailleurs.
Le site du Bois du Cazier est aujourd'hui un mémorial dédié à la mémoire des victimes de la catastrophe. En 2012, il a été inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO en tant que site majeur de l'histoire industrielle de la Wallonie. La catastrophe reste gravée dans la mémoire collective belge - moins pour les plus récentes générations cependant -, comme un sombre rappel des dangers du travail minier et des coûts humains de la révolution industrielle.
Dans Devant Dieu et les hommes, Paul Colize ne change pas sa manière : « J’ai une écriture visuelle. Je visualise mes scènes comme si elles étaient projetées dans une salle de cinéma, transcrivant ensuite ce que je vois. Je fais peu appel aux autres sens : ouïe, le toucher… Donc forcément beaucoup me disent que mes œuvres sont destinées à devenir des séries ou des films. »
Celui qui négocie en ce moment pour que potentiellement l'un de ses titres soit adapté, a même un côté oulipien : chaque nom de chapitre est le dernier mot de celui-ci. « J'utilise ce procédé depuis mon tout premier texte auto-édité. Il y a moyen de s'amuser : donner une piste, ou une fausse piste... »
Avant de se lancer dans la littérature, Paul Colize était consultant et formateur en management. Il a ensuite créé sa propre entreprise avec quatre autres associés. Son entrée dans le monde de l'écriture n'est mue que par une seule exigence : le plaisir. « Depuis mon plus jeune âge, je suis un fervent lecteur de romans policiers », nous confie-t-il.
L'écriture a débuté pour le Belge avec la publication des plus artisanales de son premier polar : une édition modeste de 10 exemplaires, reliée par des anneaux et imprimée au format A4 : « J'ai ensuite écrit sept autres romans que les éditeurs ont refusé », ajoute-t-il, non sans humour. Devant les dieux et les hommes est son quatrième roman édité chez Hervé Chopin.
À LIRE - Paul Colize : une des pages les plus tragiques de notre pays
Paul Colize a été honoré par de multiples prix littéraires, notamment le prix Landerneau, le prix Polar Pourpres, le prix Arsène Lupin, la Plume de Cristal, le prix Sang d’Encre des lecteurs, le prix Michel Lebrun et la distinction des lecteurs du festival de Villeneuve-lez-Avignon.
Son approche unique de l'écriture et sa connexion profonde avec son héritage belge le distinguent dans le monde du polar.
Crédits photo : ActuaLitté (CC BY-SA 2.0)
Paru le 21/09/2023
317 pages
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Paru le 02/06/2022
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Paru le 21/09/2023
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1 Commentaire
Lily
18/03/2024 à 21:44
Cet été je suis allée m asseoir sur les sables gris d Argeles sur mer et j ai éprouve un très profond malaise : j ai appris plus tard que les réfugiés de la guerre civile espagnole s enterraient en partie sur cette plage. Tout endroit garde les traces des tragédies.