David Duchovny, pour les plus anciens, c’est l’agent Fox Mulder, pour les plus au fait, le romancier Hank Moody de Californication. L’enfant de New York est aussi un écrivain : son premier texte fut un conte animalier, Oh la vache ! (trad. Claro, Grasset) « entre Georges Orwell et Tex Avery », rien que ça. Le second publié en France, La Reine du Pays-sous-la-Terre, est un texte étonnant, riche, non sans humour et d'un beau romantisme suranné.
Le 20/12/2023 à 18:08 par Hocine Bouhadjera
1 Réactions | 911 Partages
Publié le :
20/12/2023 à 18:08
1
Commentaires
911
Partages
C’est la collection de Hachette, née en 2021, Le Rayon Imaginaire, qui a pris la responsabilité de traduire ce texte de 2018, grâce au travail de Claire Desserrey. Là encore, un conte, aussi déconcertant qu’inscrit dans notre modernité : il narre le fantastique destin d'Emer Gunnels , une professeure new-yorkaise confrontée à un pacte. Une créature magique lui propose d'épargner la vie de son fiancé, si elle promet de ne jamais le revoir…
Présent récemment à Paris, à l’occasion d’un concert - car il est aussi chanteur, avec trois albums à son actif -, le multi-talent David Duchovny décrit auprès d’ActuaLitté et de Fantastinet : « Le thème central du roman est l'amour, et sa grande interrogation, est-ce que le véritable amour implique la capacité à y renoncer ? Je ne peux pas répondre personnellement, mais le livre reflète ma relation avec cette question. Si je pouvais exprimer ces pensées sans écrire, je n'écrirais pas. La question est fondamentale pour le récit, évoquant l'amour sacrificiel à la manière de Jésus dans le christianisme. C'est une vision romantique, différente du romantisme souvent superficiel d'aujourd'hui. »
David Duchovny s'empare vigoureusement de l'un des thèmes majeurs de la littérature, souvent considéré comme le plus traité, mais son roman ne se limite pas à ce seul sujet. Au contraire, il tisse des éléments de la mythologie irlandaise et d'autres cultures du monde entier avec New York : « J'ai vu l'occasion d'écrire une histoire d'amour, mais d'une manière particulière. Si l'histoire est un manteau, je cherchais ce qui servirait de cintre. J'aimais l'idée qu'elle soit ancrée dans une dimension spirituelle. »
Il développe : « Une fois que j'ai décidé que les dieux seraient des êtres vivants, tout a pris du sens. New York est historiquement un melting-pot où tous les pays se retrouvent, et l'idée que tous ces dieux et entités accompagnent les personnes venues d'autres parties du monde était très intéressante et amusante pour écrire. »
À l'américaine, ou à la manière des artistes de la Renaissance, c'est selon, il s'est appuyé sur un chercheur pour trouver des éléments intéressants dans différentes cultures – histoires folkloriques, démons, dieux – et il a choisi ceux qui s'adaptaient à son récit.
On entre de plain-pied dans la fantasy, presque les Avengers, mais dans la ville de Paul Auster représentée de manière quasi-naturaliste : « C'est très intéressant de prendre New York et de l'ouvrir à la fantasy, car c'est une ville concrète et d'acier. J'ai grandi ici, alors je n'avais pas besoin de faire de recherche pour écrire sur Central Park, Queens, Brooklyn... Tout était à portée de main. Je connais cette ville par cœur. » Un New York chaotique, celui de son enfance et de sa mère, également enseignante installée à West Village jusqu'à ses 91 ans.
David Duchovny précise au sujet de son approche en littérature : « J'ai écrit un livre appelé 'Truly Like Lightning' juste après celui-ci (2020, non traduit en français). Je pensais que j'allais devoir passer du temps à Salt Lake City pour des recherches sur les mormons, ce que je n'aime pas vraiment faire, je préfère écrire. Puis j'ai découvert qu'il y avait une grande population mormone à San Bernardino, près de Los Angeles, que cette fois je connais très bien. Je suis dans ces conditions bien plus à l’aise. »
Autre choix significatif de l’acteur et auteur, avoir choisi une femme comme personnage principal, dont il décrit l’expérience dans une mégalopole contemporaine, « y compris le harcèlement sexuel. C'est la vie quotidienne dans une grande ville comme New York. » Mais d'ajouter : « Lorsque le livre est sorti, j'ai été interrogé sur mon droit à écrire du point de vue d'une femme. Mon approche est de mettre l'humain avant tout. Le sexe et le corps sont secondaires. Ce qui compte, c'est la vérité intérieure d’un être, pas le genre. À partir de là, je tente d'être aussi honnête et empathique que possible, en projetant mes propres sentiments. »
David Duchovny est formel, se rapprochant de l’esprit du fameux Premier Amendement américain, qui interdit au Congrès des États-Unis d'adopter des lois limitant la liberté de religion et d'expression : « Les écrivains ont le devoir d'écrire tout ce qu'ils veulent, puis d’accepter les remises en question et la confrontation à d'autres idées, approches. C'est ce que je considère comme un lieu sûr, une société forte, où tout peut être dit et où les meilleures propositions, les plus vraies, l'emportent. »
Il est en revanche bien conscient : « Nous traversons une période difficile avec les réseaux sociaux et la difficulté à distinguer la vérité de la fiction ridicule. Les livres ne sont pas les réseaux sociaux, c'est une technologie différente, plus ancienne. Il y a beaucoup à dire sur la façon de communiquer sur ces nouveaux canaux de communication, la littérature n'a pas les mêmes problèmes. »
Ainsi, sur cette opinion que son roman aurait été une œuvre anti-Trump, il répond que non : « Il n'a aucune idée, donc je préfère même ne pas l'avoir comme adversaire. Bien sûr, il m'irrite et me fatigue, et je suis désespéré qu'il soit encore là, mais il n'y a rien à combattre, pas d'idée. »
L'œuvre de David Duchovny est riche en références, tant anciennes que modernes, et tire une grande inspiration de la pièce de William Butler Yeats, La Seule Jalousie d'Emer, qu'il a découverte durant ses années à l'Université de Yale, après des études spécialisées en littérature anglaise à Princeton : « Une pièce pas très connue et qui n'est même pas produisible sur scène », mais qui l'a frappé par la force romantique qu'elle contenait. Les deux Emer qui, pour sauver l'homme qu'elles aiment, doivent faire le sacrifice de renoncer à lui et à son rêve de vieillir ensemble.
L'œuvre du poète et dramaturge irlandais, qui s'inscrit dans son cycle de pièces sur la mythologie celtique, plonge dans les thèmes de la passion, de la jalousie et de la fidélité. La pièce, basée sur la légende d'Emer, l'épouse du héros mythique irlandais Cuchulainn, dépeint sa confrontation avec la rivalité amoureuse et les défis surnaturels pour conquérir l'amour et la loyauté de son mari. Un texte imprégné de symbolisme et d'imagerie poétique, caractérisé par un style narratif complexe pour l'époque, mêlant monologues introspectifs, dialogues et interactions avec des éléments surnaturels.
Elle s’est hâtée du Pays-sous-les-Vagues
Et s’est donné cette forme en rêve
Pour qu’il scintille dans son panier ; car les Sidhes Pêchent aussi ; elles pêchent les hommes Avec des rêves pour hameçon.
- W. B. Yeats, La Seule Jalousie d’Emer, mis en exergue au début de La Reine du Pays-sous-la-Terre, de David Duchovny.
Yeats et Samuel Beckett, auquel il a consacré une thèse intitulée, La Critique Schizophrénique de la Raison Pure dans les Premiers Romans de Beckett - vaste programme - : « Il y a une sorte d'humour essentiel, noir, dans son œuvre. Ce qu'il a proposé est tellement intéressant. Cet autre Irlandais a écrit en français, ce n'était pas sa première langue, et ensuite il s'est traduit lui-même. Un homme fascinant. »
À LIRE - Main à plume : la résistance surréaliste sous l'Occupation
David Duchovny a également écrit Bucky F*cking Dent (2016), Truly Like Lightning (2020) et The Reservoir (2021, un livre audio), qui, à ce jour, n'ont pas été traduites en français. Elles ne seront, en tout cas, pas publiées au Rayon Imaginaire, spécialisées dans le genre inscrit dans son nom, l'Américain changeant d'ambition à chaque nouvel ouvrage.
Crédits photo : ActuaLitté (CC BY-SA 2.0)
Paru le 11/01/2023
368 pages
Hachette
25,00 €
Paru le 13/01/2016
216 pages
Grasset & Fasquelle
16,90 €
1 Commentaire
Marianne L.
21/12/2023 à 15:21
Voilà une info intéressante, étant une vieille de 43 ans, pour moi David Duchvony incarnera à jamais l'agent Fox Mulder, mais je suis très intriguée par ce livre, et la présentation que vous en faites est très alléchante ... Merci pour la découverte !